Comme chaque semaine, la librairire Anne Brouilhet vous propose de découvrir un livre pour vous évader à New York en mots. Aujourd’hui, découvrez quatre histoires de la célèbre romancière new-yorkaise des années 20, Edith Wharton ! Le roman s’appelle « Vieux New York », et c’est tout simplement un plaisir de lecture, tant par la finesse de l’écriture que par le suspense de la trame romanesque. Ne vous attendez pas à de la guimauve. Le portrait ironique de l’aristocratie à l’époque new-yorkaise où les gratte-ciels n’avaient pas encore poussé va vous transporter !
Qui est Edith Wharton ?
Edith Wharton est née en 1862 à New York dans une famille aisée. Très jeune, elle voyage en Europe et découvre les beautés du vieux continent. Elle choisit de vivre en France au début du XXème siècle. Elle adopte si bien la langue de sa nouvelle patrie qu’elle écrit certains de ses romans directement en français et supervise souvent la traductions des autres.
Son premier best-seller !
En 1920, « Le Temps de l’Innocence » se vend à 60 000 exemplaires en quelques mois. Elle reçoit alors le très prisé Prix Pulitzer. A notre époque contemporaine, ce « bestseller » a trouvé une reconnaissance encore plus large grâce à la très réussie et « viscontienne » adaptation cinématographique de Martin Scorsese. En 1922, elle retourne pour la dernière fois en Amérique, où elle est nommée docteur honoris causa par l’université de Yale.
« Peignez le vieux New York », lui dit son ami, le new-yorkais Henri James !
Les œuvres d’Edith Wharton rencontrent un grand succès. Il contribue à lui offrir une indépendance financière, lui permet de mener une vie libre et choisie à l’abri des contraintes des conventions. Elle fera de cette indépendance économique un motif essentiel autour duquel elle construit des textes dont la qualité de la trame narrative et la précision et la profondeur des analyses psychologiques sont très appréciées par son grand ami et mentor Henry James, lui aussi new-yorkais. Ils entretiennent une longue et suivie correspondance. C’est lui qui la conseillant, « l’admonestant, lui écrit de bien choisir ses sujets, de se concentrer sur la peinture satirique du « Vieux New York » qu’elle connait si bien », comme le rappelle si justement Diane de Margerie dans sa biographie d’Edith Wharton publiée en 2000 chez Flammarion.
Une New-Yorkaise enterrée à Versailles
« Ne ratez pas – ce concret, réel, nôtre, vôtre, et qui attend son romancier : faites New York » insiste-t-il encore. L’ensemble de son travail romanesque prouve qu’elle l’écouta. Edith écoute toujours le Maître quand elle l’approuve. Elle fréquente avec assiduité la société littéraire française influente du début du XXème siècle. Elle ne rencontra jamais Marcel Proust, j’imagine à son grand regret. Elle se vantera d’avoir envoyé Swann à Henry James en 1914 qui n’a sans doute jamais eu le temps de vraiment le lire. Il meurt naturalisé anglais le 26 juillet 1915. Edith Wharton meurt en France en 1937 laissant derrière elle une œuvre considérable et remarquable. Elle est enterrée à Versailles.
« Vieux New York » : 4 nouvelles ironiques pour dépeindre l’aristocratie new-yorkaise !
Les quatre récits de « Vieux New York » se suivent chronologiquement. Ils illustrent quatre années qui s’étendent de 1840 à 1870, comme autant de scènes de la vie conjugales dans la haute société très conservatrice de New York, à la recherche d’un temps disparu. Ce très petit univers clos et feutré s’impose comme un carcan étouffant et redoutable pour les femmes sans épargner les hommes, qui prennent le risque de choisir des chemins de traverse. Edith Wharton avec beaucoup de finesse met en exergue un paradoxe flagrant entre la ville qui symbolisera dans les années suivantes un nouveau monde, un eldorado de la modernité et la société qui la dirige. Recroquevillée sur elle-même, elle craint plus que tout, les élans de libération.
Des silhouettes corsetées dans des vestes cintrées sur le 5e Avenue…
Ces nouvelles sont publiées pour la première fois en 1924. On y retrouve les thèmes développés dans le très beau et triste « Chez les heureux du Monde »( 1905) puis en 1920 dans « Le temps de l’innocence », cité plus haut. Elles montrent combien Edith Wharton a progressé dans la transcription romanesque de sa compréhension de l’âme humaine. Elle exprime avec encore plus de profondeur et de sensibilité, la nécessité de parvenir à une liberté plus grande pour s’épanouir, s’émanciper et se développer.
© Frederick Childe Hassam, New York – 1902
Que racontent ces quatre nouvelles ?
1. « L’ aube mensongère»
« L’ aube mensongère» (les années 1840) met en scène sous la forme d’un roman initiatique, un jeune homme sensible et ouvert, Lewis Raycie, dont le père « un homme monumental » lui offre, malgré sa pingrerie, un indispensable voyage sur le vieux continent. Ce dernier souhaite qu’il acquiere là-bas des œuvres d’art comme autant de valeurs, une stature qui feront incontestablement de lui un homme prêt à affronter ses responsabilités. Lewis découvre entre autre chose, à Londres en particulier, l’art primitif italien du quattrocento, grâce à John Ruskin et à la fréquentation des artistes, poètes, peintres préraphaélites. Au retour à New York, l’absurde opiniâtreté d’un père inculte et insensible le conduira à se faire rejeter de sa famille. La chute lui donnera finalement raison, malheureusement trop tard.
2. « La Vieille fille »
« La Vieille fille » ( les années 1850) révèle le terrible secret d’une fille mère prénommée Charlotte qui renonce à exprimer son instinct maternel afin d’assurer un avenir meilleur à sa fille.
3. « L’étincelle »
Dans « L’étincelle » (Les années 1860), le lecteur fait la connaissance d’ Hayley Delane, un homme doté « d’une monumentale simplicité » et d’un poétique secret. Il est à lui seul une énigme. Le narrateur, observateur assidu et pointilleux, tente de percer son étrange et placide bonhommie, derrière laquelle se camoufle un tempérament tempétueux et troublé. Edith Wharton avec beaucoup d’agilité aborde ici à travers le portrait de ce « banal » protagoniste, la considérable influence de la guerre de sécession sur la société new-yorkaise. La fin offre une surprenante et délicate surprise.
4. « Jour de l’an »
Le livre se termine tout feu, tout flamme par « Jour de l’an » ( les années 1870) : la chronique d’un incendie révèle, le jour de l’an, sur la cinquième avenue, un scandaleux adultère à l’ombre duquel s’est réfugiée la belle et troublante histoire d’un attachement fidèle et amoureux entre la jeune, éblouissante et séduisante Mrs Hazeldean et son souffrant et lecteur de mari.
© Frederick Childe Hassam, Nouvel an à New York
Pourquoi lire ou offrir ce livre ?
Ces quelques mots devraient suffire à vous convaincre… Ce petit livre, peu onéreux, est un bijou. La distinction exquise de l’écriture, l’habilité à construire à chaque fois une trame romanesque qui tient en équilibre un suspens captivant jusqu’à une chute surprenante, l’acuité de l’analyse psychologique, la pertinence du propos et enfin le charme désuet des atmosphères offrent au lecteur un moment de lecture incomparable.
Si vous avez envie de voir déambuler des silhouettes, agrémentées de vertugadins froufroutants, corsetées dans des vestes cintrées dont les manches et le col laissent faire voir la magnificence des dentelles, dotées de splendides volumineux chapeaux, sur la cinquième avenue ou Broadway, de belles femmes qui jamais ne renoncent tout à fait, à être libres, vous êtes sur le bon chemin. Bonne lecture !