Roman coup de coeur à Harlem : Nègre de personne, de Roland Brival

Anne Brouilhet Archives Leave a Comment

Nous poursuivons notre série sur les romans new-yorkais, avec notre libraire Anne Brouilhet. Cette semaine, elle vous présente un livre qui l’a enthousiasmée, Le Nègre de Personne, paru aux éditions Gallimard. Une plongée poétique et énergique dans le Harlem des années 20…

De quoi parle le roman ?


Roland Brival
raconte sous forme d’un roman enlevé, flamboyant et rythmé comment Léon-Gontran Damas fait la découverte de Harlem à l’âge de 26 ans. Il vient de publier à Paris un recueil de poésie «  Pigments ». Ses meilleurs amis sont Léopold Sédar Senghor et Aimée Césaire.
Nous sommes en 1938. Il débarque du Normandie,  pose les pieds sur le bitume new-yorkais et se dirige vers le quartier de Sugar Hill à Harlem.
Léon-Gontran vient à la rencontre de l’aristocratie intellectuelle noire, des acteurs vibrants, passionnés et engagés d’un mouvement culturel, artistique, littéraire et politique, le bien nommé « Harlem Renaissance » (dont nous vous avons parlé ici). Il souhaite se confronter aux idéaux de ses cousins d’Amérique, ceux de l’autre monde, venir puiser auprès d’eux une énergie nouvelle pour porter encore plus haut les voix de « La Négritude ».  La Harlem Renaissance a connu un âge d’or entre 1920 et 1930, portée courageusement par un homme influent et convaincu, William Du Bois. Le mouvement continue jusqu’en 1941 à regrouper autour de ses thèses les intellectuels noirs les plus éduqués et créatifs.
la harlem renaissance à new york
Anna est séduisante, charmeuse et une talentueuse artiste peintre. Elle connait tout le monde. Elle décide de portraiturer Léon-Gontran, lui attribue son «  véritable nom » que lui ont « soufflé les esprits », «  Damas, le tisseur de rêves ». Elle l’introduit dans un réseau riche et varié de belles âmes endiablées, créatives et pensantes, lui fait rencontrer le grand homme « Bien qu’il ne sorte plus que rarement de sa tanière… ».
Sous forme d’un journal imaginaire, Léon-Gontran, dévoile son quotidien à son très cher ami Césaire, ses premiers pas dans les rues d’ Harlem («  Je m’ensauvage à mesure que je m’enfonce dans la jungle de Harlem »), sa découverte du Jazz, son premier concert au Cosmos. Il écoute, fébrile, le corps chaud de Anna blotti contre lui, la voix rauque et envoûtante de Billie Holiday accompagnée de Teddy Wilson  au piano et Lester Young au saxophone. Le lecteur a le sentiment de partager cette vive « fulgurance » reçue comme une décharge électrique quand le regard brûlant de Billie croise « par un miraculeux hasard » celui de Léon-Gontran.
Billie Haliday chanteuse

« New York. J’y suis, mes frères, et quoique j’y vienne en guerrier, preneur de citadelles, c’est l’émotion trouble d’un adolescent qui perdure en moi l’instant de descendre les marches de cette passerelle. »

Et là, les phrases de Roland Brival déferlent dans un élan poétique, syncopé, vibrant d’admiration. L’envie de ralentir sa lecture s’impose pour mieux goûter l’inspiration, la générosité de l’écrivain, chaque mot pour dire combien son héros est happé par la grande ville : «  À New York, la vie ne s’arrête jamais ».
Léon-Gontran évoque ses amis, œuvre comme il peut pour défendre leur éloquence, leur sens de la formule, leurs généreux idéaux et quand la question arrive « Et toi ? », il répond impulsif et bravache « Je suis le bâtard de la bande. Le sang-mêlé. Je suis le nègre de personne ! ».
Et quand Anna insiste, n’est-ce pas ici qu’il te faut vivre…. dans mes bras en écoutant les sons envoûtants du blues…malgré les humiliations comme de se voir refuser l’entrée du Cotton Club… Et ainsi échapper aux bruits de bottes qui s’annoncent en Europe.
Il s’esquive, cette décision mérite réflexion. Difficile se résister au pouvoir ensorcelant de l’ambiance de Harlem : « Dois-je me croire la proie d’une illusion persistante….. » Lisez pour en découvrir plus !
le cotton club à harlem new york

Pourquoi lire ce roman ?


Le Nègre de Personne
 est un roman sensuel et pénétrant
,  riche d’une fervente humanité poétique au charme puissant. Il porte une belle et énergique vitalité qui resserre le lien étroit qui devrait toujours exister entre  un écrivain et son lecteur, l’envie de partager et de s’embraser mutuellement.
Il invite à comprendre l’idée de Négritude telle que Léopold Sédar Senghor, Aimée Césaire et bien sûr Léon-Gontran Damas l’ont conçue à Paris, en retournant à la source, puisant dans les souvenirs, leur jeunesse, le cheminement de l’élaboration de leurs convictions.
Il nous convie à revisiter à New York, une Histoire difficile et troublée dont les ressorts se tendent encore et toujours, de nos jours, et provoquent tant d’injustices, de violences insoutenables. Si la Ségrégation n’est plus, le racisme persiste, sévissent encore des crimes malgré la vigoureuse implication pacifique, poétique et littéraire d’hommes et de femmes dont la vie a été consacrée à étreindre des préjugés odieux  et à valoriser une culture riche d’une beauté surprenante. En lisant ce texte captivant, on a la chance de rencontrer certains d’entre eux, de croiser un instant leurs pensées, d’écouter leurs discours. Ils offrent l’opportunité de nuancer ses propos, comme le conseille George Schuyler à Léon-Gontran, au hasard d’une rencontre,  assis côte à côte, face au comptoir d’un coffee shop : « Tachez d’être plus subtils en France….Placez-vous du côté de l’humain, plutôt que celui du guerrier. »
le nègre de personne
Enfin, parce que ce roman se lit d’une traite, tant la musique de la langue est belle, chaloupée, tant elle vibre au rythme du blues qui « n’est pas le seul à tuer, Césaire. La poésie aussi est criminelle. » Parce qu’il propose une bouleversante déambulation, magique, unique, dans un Harlem bouillant et frénétique, un Harlem aux mille contrastes au creux duquel se croisent des êtres humains qui au-delà de leur couleur de leur peau, partagent volontiers leurs sentiments d’appartenance à un si vaste pays que sont les Etats-Unis et tout ce que cela implique pour eux et pour nous.

 Où se procurer le roman ?

ici

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