Cette semaine, Paris New York TV vous propose un reportage inédit ! Nous avons passé une nuit dans le Bronx, à Hunts Points, le quartier du Bronx où le taux de criminalité est le plus élevé, en compagnie de Chris Arnade, un trader de Wall Street qui photographie les drogués et prostitués de New York, son hobby. Vous sentez-vous prêts pour voir la “vraie” nuit de New York ? Voici une soirée dangereuse et unique, un road-trip nocturne, une plongée en quartiers troubles…
Par Noélie Viallet
> Qui est Chris Arnade ? De New York, ce trader passionné de photo, n’immortalise pas de ses flashes les stars, le glamour et la 5e Avenue ! Il passe tous ses vendredis et samedis soirs à Hunts Points, le quartier du Bronx où le taux de criminalité est le plus élevé, pour y photographier drogués et prostitués, devenus ses amis. Pour lui, ce projet artistique est un “hobby” ! Cela s’appelle “Faces of Addiction”, c’est unique en son genre, et vous pouvez le suivre régulièrement sur son compte Flick’r ou son Tumblr – qui connaissent un succès exponentiel, surtout depuis que très célèbre quotidien new-yorkais The New York Times en a fait mention. Vous allez découvrez un aspect méconnu de la plus grande ville des États-Unis : New York ! Très loin des clichés à la Gossip Girl.
Alors prêt pour une soirée dans le Bronx ?
“Il est 16 heures. “Pas de bijoux, rien pour vous faire remarquer. C’est dangereux”, m’a prévenue Chris. Il ne fait pas chaud. Je flippe. J’alerte mon entourage : “J’ai RDV avec un homme, je ne le connais pas, nous partons dans le Bronx pour la nuit. Si vous ne me voyez pas revenir voilà son numéro.”
17 heures. Je quitte mon brownstone, et attends Chris, sur les marches. Son van bleu s’arrête devant la maison. Une casquette des Yankees trône sur le capot avant. Chris m’accueille chaleureusement : direction East New York. Chris a 46 ans, une épouse, trois enfants. Quelle mouche l’a piqué ? Je suis venue voir. Je veux comprendre ce qui le pousse. Si c’est un effet de style, du voyeurisme, une posture, d’aller ainsi photographier les exclus du Bronx, dans la partie la plus pauvre de New York. À cette heure tous ses collègues traders de Wall-Street sont au club de sport, lui file dans la nuit du Bronx. Chris Arnade est déjà sur son Ipad, surveille le trajet, ses photos. Sa deuxième vie commence.
À East New York, dans Brooklyn : 8 ans de prison pour vol à main armée
17 heures 45. Les dernières lueurs du jour nous éclairent. Nous nous arrêtons en bordure d’une route. Chris lève la tête et appelle : “Two Tone ! Two Tone !” Quelques pigeons virelvoltent. Soudain, une femme nous répond, depuis une lucarne. Un homme sort de la baraque, l’air cool, en sweat. Il a confiance, il connaît Chris. Son visage est taché, d’où son surnom “Deux tons”. Nous entrons dans sa bicoque. L’odeur est saisissante. Le bois pourrit. Les escaliers manquent de s’écrouler. Les paliers sont étroits. Je m’aggrippe à la rembarde. Le sol est jonché de plumes, et d’excréments. Au dernier étage, une échelle permet de monter sur le toit. Two Tone rit : elle se débrouille la Française , malgré ses petites bottes. Chris m’a présentée comme une de ses amies. “She’s my friend.” Two-Tone n’en demande pas plus.
Two-Tone a fait 8 ans de prison pour vol à main armée, c’est ce que Chris m’expliquera plus tard. Mais ici, cela n’a pas d’importance. Ce que nous sommes venus voir, ce sont les 150 pigeons de Two-Tone, dont il prend soin avec douceur, comme s’ils étaient ses enfants. “Je les connais chacun”, me raconte-t-il l’oeil ému en leur jetant des graines dans les cabanes qu’il leur a construites.
À 52 ans, Willie ne possède qu’un matelas…
Nous reprenons la voiture. Chris veut dire bonjour à Willie, 52 ans. Willie aussi élève des piegeons, il est content de nous voir. Mais très vite, Chris disparaît. Je reste seule avec Willie. “This guy, he touched my heart…”, me confie-t-il en parlant du trader des beauw quartiers. “Cet homme a touché mon coeur”. “I look like an homeless han ?”, me demande-t-il. “J’ai l’air d’un clochard, n’est-ce pas?” Mais Chris revient, une bière à la main, qu’il vient d’acheter pour Willie. “Je veux que les gens sachent mon histoire”, avait dit Willie à Chris. Chris pense que Willie habite dans cette maison abandonnée où il n’y a qu’un matelas par terre. « Mais il ne le dira pas, il a sa fierté…«
Bière et confidences
20 heures. Le froid commence à nous glacer. Le ciel est gris. Nous traçons vers le Nord, le Bronx. Avant la nuit, Chris m’invite dans un bar perdu. Autour d’une bière, il m’interroge. “Have you got anyone special in your life ?” “Tu as quelqu’un, dans ta vie ?” Chris me fait rire. À moi aussi, il me demande mon histoire. Une jeune femme nous prête une lampe qui servira à prendre des photos en pleine nuit, dans le Bronx.
Gagner progressivement la confiance…
Nous reprenons la route, et longeons Manhattan par la droite. Les gratte-ciels scintillent… Il n’y a pas de mots… Chris me raconte : “Avant, j’étais professeur de Physique. Mais j’avais besoin d’un rythme plus haletant. Alors Wall Street m’a saisi ! J’aime le rythme et le défi intellectuel de la finance.” Ces visites dans le Bronx ? « Elles me déstressent…. Cela ne se fait pas d’un coup. Il faut être patient. J’essaie de nouer des relations dans un pâté de maison, et progressivement, je m’insère dans les quartiers.”
La police surveille : Stop and Frisk Policy
Au bout de 45 minutes, nous arrivons dans le Bronx. Nous y sommes. La nuit est noire, les rues désertes, le silence écrasant. Au détour d’une rue, nous croisons une prostituée, black, toute en rondeurs. Jambes dénudées malgré le froid elle marche, seule et disparaît dans la pénombre. “C’est bien que tu sois là, me dit Chris. La police ne nous embêtera moins. Avec une femme, tout passe mieux… » Les rues sont bien calmes ce soir, me confie-t-il. “C’est encore plus dangereux”, prévient Chris.
Plus loin, des feux des voitures de police clignotent. Les jours d’avant, il y a eu des vagues d’arrestations. À New York, la politique du “Stop and Frisk” sévit. La police surveille… arrête. Alors les prostitués et les drogués se terrent, comme des bêtes traquées. Plus de 4000 familles vivent ici, ignorées du reste de Manhattan, son brouhaha, ses boutiques, ses cocktails.
Barbara, prostituée arrêtée 170 fois
Devant un garage, nous stoppons. Vite ! Nous claquons la porte. Chris appelle. Barbara sort d’un recoin du garage. Barbara a 52 ans, et depuis plus de 30 ans, elle se prostitue ici. Edentée, avec un accent difficile à comprendre, quelle élégance, quelle dignité… Barbara est contente de voir Chris ! Vive et bavarde, elle explique qu’elle fait son maximum pour protéger les plus jeunes filles du quartier de la prostitution… mais ici, c’est très difficile.
Nous repartons et achetons des cigarettes dans un Deli – Chris tente de soustraire quelques informations auprès du vendeur. Des ados qui ont fait une fête dans cet immeuble abandonné, juste là…
Lamar, 44 ans ultra-dépendant au crack
Sous un échafaudage, en pleine nuit, Chris reconnaît Lamar, ultra dépendant au crack. Comment fait Chris ? Je n’avais vu personne… Chris offre à Lamar le cliché qu’il a pris de lui lors d’une précédente tournée. Pour partager un moment, il lui propose une cigarette, puis lui donne 20 $. Il sait qu’il va immédiatement les utiliser pour acheter de la drogue… Si Chris fume, c’est juste pour être proche, et parler. “Ark, no more smoking !” s’exclame Chris en rentrant dans la voiture.
Craig, 42 ans a tout perdu à cause de la drogue : sa famille, son travail
Dans la voiture, Chris a un rouleau de papier : les impressions grand-format de photos qu’il a prises l’autre fois. Au loin toujours dans la nuit, de l’autre côté de la route, il reconnaît Craig, et l’appelle ! Craig est calme, très calme, très lent. Il a l’air triste. Inoffensif… La discussion ne se prolonge pas. Craig repart dans la pénombre, sa photo sous le bras.
Takeesha la prostituée et son amoureux aux trois doigts en moins
Nous reprenons la voiture et nous arrêtons devant une maison abandonnée près de la voie ferrée. Ici vit Takeesha, une prostituée qui adore Chris. « Honey, tu m’a manqué, dit elle en le prenant dans les bras. » Elle est en peignoir rose, dans le froid, en pleine rue. Elle nous invite à entrer chez elle. Nous entrons dans une baraque vide, vieille, le squat qu’elle partage avec son amoureux, Steve. Au sol, sur la vieille moquette, sont étalées leurs affaires. Lui, ex-drogué a perdu trois doigts sous un train. Entre eux, l’amour est palpable, bourré de tendresse. Mais Takeesha doit se prostituer, une nécessité pour vivre… Leur chat est leur seul trésor. Nous les prenons en photo (voir ci-dessus). Je tiens la lampe. Takeesha est cabossée par la vie, cela se voit, mais sa beauté rayonne. “Je n’ai pas de vrai ami, Chris, je voulais te voir”, confie-t-elle à Chris alors que nous nous en allons. Parfois, pendant la semaine, Takeesha appelle Chris, le trader de Wall-Street, son ami.
Pipi en pleine nuit
Je ne sais plus quelle heure il est. Cela fait plusieurs heures que nous tournons dans le Bronx, en plein milieu de la nuit. J’ai besoin d’aller aux toilettes, comment faire ? Chris m’emmène dans un vieux garage. Le garagiste accepte que j’utilise ses toilettes. Je file en arrière-boutique, et me demande ce que je fais là. C’est inoubliable… l’on ne revient jamais tout à fait le même d’une nuit dans le Bronx. Pendant ce temps, Chris achète des nuts à grignoter. C’est vrai ça nous n’avons rien mangé depuis cet après-midi. Il faut reprendre des forces pour pousuivre la tournée.
Pam, la dernière prostituée de la nuit
Nous remontons en voiture en avalant les nuts par poignées entières. Chris est un nerveux, un dynamique. Il faut recharger les batteries. « De voir le sexe de manière aussi crue« , « it »s turn me off« , me confie-t-il. « Mais rassure-toi, j’aime les femmes ! » me dit-il en souriant.
Dernière visite pour ce soir, Pam. Elle n’est plus toute jeune, l’air soucieux, et claque de froid dans sa veste beige en simili-cuir. Par la fenêtre, Pam réclame de l’argent. Elle sait que Chris en a. Il vient toujours dans le Bronx les poches pleines de dollars, exprès. « The prostitutes generally, they always ask, m’explique-t-il. I’ve no problem with that, paying them, cause I’m using their time. » « Les prostituées me demandent souvent de l’argent. Ça ne me dérange pas, car en fait, je leur prends de leur temps… » Nous descendons la voiture, Pam veut bien êre prise en photo une seconde fois. Chris prend le cliché, je tiens la lampe : « Plus près ! Plus loin ! » m’indique-t-il. Vous pouvez voir la photo en cliquant ici. « I’m sorry to be bossy when taking pictures« , s’excuse Chris. « Je suis désolé d’être si directif. » Mais je ne lui en veux pas. Je demande à Pam et Chris si exceptionnellement, ils veulent bien que je les immortalise ensemble… Dans la nuit et le froid, et une sensation d’urgence, voilà Chris le trader et Pam la prostituée, violée à l’âge de 11 ans :
Il est l’heure de rentrer, d’aller dormir. La casquette des Yankees n’a pas bougé… Chris a de plus en plus de cernes, il souffle. « I’m fucking tired ! » s’exclame-t-il. « I hit a certain point and then I need to drink » lâche-t-il. « Je suis p*ain de fatigué, j’ai besoin de boire. » Moi aussi je suis fatiguée, mais je ne m’en rends pas compte. Sur la route du retour, Chris m’explique qu’il demande toujours aux drogués et aux prostitués quel est leur rêve : « Most of the women say : « I want my children back » Men say : « I want to be done with my addiction, and make some money. » « Généralement, les femmes répondent qu’elles veulent revoir leurs enfants… Les hommes, eux, disent qu’ils veulent sortir de la drogue, et « faire » de l’argent.«
Une dernière question me titille : « Chris, tu es croyant ? » I’m a loving religion atheist« , me répond-t-il. « Je suis un athée qui aime la religion. » Une prostituée lui a raconté que quand elle monte dans la voiture d’un client, elle parle à Dieu… Il sait que ça aide, qu’il ne peut pas juger… Chris me remène à Brooklyn et s’en va retrouver son épouse et ses deux filles. Lundi, il remettra son costume de trader.
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